Deux illustres légendes scandinaves présentées par le Lieutenant
Colonel Langlois qui rappelle l’importance de la civilisation nordique aux alentours
de l’an mille:
«La Saga d’Eric le rouge’’ et "La Saga de Karlsefni»
Les sagas scandinaves sont des récits transmis de génération
en génération dans les pays des northmen ou normands et relatés par des poètes qui
sont l’équivalent de nos troubadours.
Ces récits évoquent le plus souvent les voyages de ces extraordinaires
marins qui forent notamment à l’origine de la découverte du Groenland et (peut-être)
de l’Amérique.
L’Analyse de la Saga d’Eirik fait ressortir certains caractères
que nous mettrons plus tard en parallèle avec eux de la Saga de Karlsefni
Elle s’ouvre par un long exposé de la vie d’Eirik le Rouge
et de sa découverte du Groenland, ainsi que de sa colonisation qui tient une place
considérable. Elle s’étend longuement sur l’éducation de Leif et de ses voyages.
Elle met à son compte l’introduction du Christianisme, ce qui en soit seul, était
un grand titre de renommée au moyen âge.
En ce qui a trait plus spécialement à la découvert de l’Amérique,
c’est à Bjarni, un comparse qu’en revient l’honneur. Honneur toutefois bien diminué
du fait qu’il ne chercha même pas à reconnaitre les terres aperçues par hasard,
ce qui fut l’œuvre de Leif.
Les «Groenlendinga pattr», ainsi que leur nom l’indique relatent
surtout les hauts faits des Groenlandais, Leif, Thorvald, Thorstein, voire Freydis.
Pour cette dernière, il ya évidemment un mélange de crimes et d’audace dont Leif
réprouve une partie, mais vis à vis desquels la plupart des contemporains ne devaient
pas ressentir la même horreur. Nous somme toujours parmi les pirates du Nord, pour
qui le meurtre se rachetait par une faible amende.
Quelques pages seulement sont consacrées au voyage de Karlsefni.
Ses aventures sont présentées d’une façon terne à coté de celles de la famille d’Eirik.
Tout y est facile, presque insignifiant. Le meuglement d’un taureau et un petit
combat suffisent pour les débarrasser des Skroelings. On verra une autre image autrement
dramatique de ces affaires dans l’autre saga. En fin de compte, inquiet du voisinage
de ces redoutables indiens. Karlsefni, préfère rentrer au pays après fortune faite.
En somme la famille d’Eirik tient les grands rôles, celui
de Karlsefni est plutôt diminué. N’était la conclusion, on aurait la complète impression
que la Saga est un chant presque exclusivement à la gloire des Groenlandais.
Mais la susdite conclusion même peut n’être qu’une adjonction
faite à l’époque ou la Saga fût c transcrite en Islande. Alors que le Groenland
commençait à tomber dans l’oubli et que par contre la famille de Karlsefni était
en pleine grandeur. En tous cas, les quelques lignes de la fin ne modifient pas
la tendance générale: la Saga d’Eirik le Rouge célèbre par dessus tout cet homme
illustre et sa famille. Ne pouvant passer sous silence le rôle de Karlsefni, le
scribe ne lui accorda qu’un minimum d’intérêt et lui enlève tout coté héroïque.
C’est précisément l’inverse que l’on verra dans la Saga qui
suit, la Saga de Thorfin Karlsefni.
L’analyse de la Saga de Karlsefni met en relief une tendance
principale: faire briller son héros principal: Karlsefni. Quelque peu aux dépens
de celui que célèbre la Saga d’Eirik: Leif. La comparaison seule des péroraisons
des deux récits est déjà édifiante.
Dans l’ensemble aussi bien dans la Saga de Karlsefni que dans
le Flatey Bok, le rôle d’Eirik le Rouge reste
en relief. C’était justice puisqu’il fut le découvreur, l’initiateur, et qu’à lui
remonte toute l’aventure. Mais hormis ce point dans la Saga de Karlsefni la famille
d’Eirik passe au second plan. Leif, par exemple ne trouve le Vinland que par l’effet
d’une dérive due à la tempête. C’est le rôle de Bjarni dans la Saga d’Eirik. Les
autres membres sont des comparses ou des personnages odieux comme Freydis.
La grande vedette c’est Karlsefni. Le tableau est poussé si
loin, qu’au retour de son expédition au Groenland, il n’est plus question ni d’Eirik,
ni des siens. Le scalde les efface dans le rayonnement de la gloire de son héros.
Karlsefni est dépeint comme un habile commerçant, un marin
audacieux et dans ses aventures avec les Skroelings, comme un chef militaire avisé.
Tous titres de gloire particulièrement appréciés chez le Normands.
Son itinéraire quelque peu différent de celui de Leif, longe
les mêmes cotes et aboutit ç une contrée qui ne doit pas être fort lointaine du
Vinland de Leif, qui se trouve vraisemblablement sous la même latitude, mais ou
Karlseifni, avoue implicitement n’avoir pas retrouvé les huttes de Leif, comme les
autres aventuriers l’ont fait.
Arrivé au Straumfjord, il n’ose penser qu’il est au Vinland,
bien qu’il ait trouvé de la vigne. il ne semble pas certain d’avoir atteint le but
qu’il s’était proposé en partant du Groenland, puisque quittant le Straumfjord,
il va plus au Sud ou il trouve le Hôp. Il laisse Thorvald partir vers le Nord-est
a la recherche des huttes de Leif.
Des analyses des deux sagas on peut maintenant, tirer les
conclusions suivantes:
Il n’y a qu’une série de voyages en Amérique. Ils forment
le fond commun, mais ils sont relatés d’une façon légèrement différente dans chaque
Saga. Au cours de ces voyages, les navigateurs ont suivi des itinéraires sensiblement
voisins et ont du aboutir à des régions sans doute peu éloignées l’une de l’autre.
Plusieurs de ces voyages furent faits par des Groenlandais
apparentés à Eirik, un autre par des islandais conduits par Karlsefni, de passage
au Groenland et qui revint en Islande.
Les Scaldes groenlandais ou islandais recueillirent de ces
voyages des versions foncièrement semblables, mais la distribution des rôles des
acteurs y varia selon que les scaldes appartenaient à la client-le de l’un des groupes
groenlandais (famille d’Eirik) ou islandais (famille de Karlsefni). Ils les arrangèrent
selon leurs tendances, leur désir de plaire à leurs commensaux ordinaires pour la
plus grande gloire de leurs favoris ou de leurs descendants.
Tout ceci forme une thèse que l’on trouve dans les ouvrages
récents Steensby Hovgaard et surtout dans Fossum. Basée sur une explication plus
large et plus réaliste des textes, elle permet de mettre fin à une querelle inféconde
qui consistait à opposer les textes et par conséquent à négliger l’un au profit
de l’autre, sans intelligence pour l’intelligence générale des faits.
Si l’on en admet les grandes lignes les différences s’atténuent.
Les évènements s’expliquent tout simplement. Il en résulte une double localisation
du Vinland depuis longtemps soupçonnée, mais nettement exposée dans les dernières
œuvres seulement.
Les explications des divergences ne manquent pas et on les
trouvera développées dans la troisième partie.
Dégagée de toutes les enjolivures, des interpolations probables,
la Saga de Karlsefni donne l’aspect d’un récit qui se tient. Les grandes lignes
des faits ne différent guère de la Saga d’Eirik. Le Hôp de Karsefni, comme le Vinland
de Leif, se trouvaient quelque part au Sud-ouest du Groenland, sur la côte américaine.
Les itinéraires suivis pour aller à l’une ou à l’autre région sont peur différents.
Les pays rencontrés ont les mêmes caractéristiques.
Au Vinland comme au Hôp, même climat, même flore, mêmes Kroelings.
L’ensemble des expéditions n’embrasse qu’une période assez
courte, dix à douze ans au maximum, on pouvait donc s’attendre à ce que les relations
ne présentassent pas de grandes dissemblances. C’est ce qu’on peut constater en
ce qui concerne le fond tout au moins, dans les deux sagas. La passion a pu faire
mettre l’honneur de l’aventure au compte de l’un aux dépens de l’autre, le fait
reste le même;
L’important pour nous ne réside pas dans une querelle de clans,
ou une querelle littéraire, qui peut intéresser des spécialistes. Le résultat qui
nous attire se trouve dans les faits c’est la possibilité d’affirmer que les Normands
ont atteint à plusieurs reprises la côte américaine au Xème siècle.